Les nouveaux bergers : de la Casinca à l’étang de Berre (partie 1)

A mafia Fora
14 min readOct 25, 2022

C’est l’histoire d’une famille issue de la Casinca, passant d’un milieu agraire au braquage et qui a tenté de s’imposer dans les machines à sous autour d’Aix. C’est surtout l’histoire du clan Federici, aussi appelé “bande des Bergers Braqueurs”, “bande de la Casinca” ou “bande de Venzolasca”.

Le patriarche de la famille Federici, Augustin, était à la tête d’un élevage de brebis établi dans les collines de Venzolasca. Située à une trentaine de kilomètres au sud de Bastia, cette commune littorale a depuis connu un grand développement. Suite à sa disparition dans un accident de la route au début des années 70, ses cinq enfants devront reprendre l’exploitation familiale. Cette profession, marque depuis longtemps la chronique judiciaire, qui désigne les membres du clan sous le terme de “Bergers”.

Le frère aîné, Balthazar, né en 1954, ancien commerçant, a rejoint la politique en adhérant au parti radical de Corse. Il devient maire du village de 1600 habitants en 2008. Tony Poli, le fils de son prédécesseur Sylvestre Poli, est devenu son adjoint — celui-ci préside actuellement la Communauté de Communes Castigniccia Casinca (regroupant 42 communes et près de 13 000 habitants). Élu conseiller territorial sur la liste de Paul Giacobbi en 2010, Balthazar Federici brillait par sa discrétion à l’assemblée, bien qu’il ait été actif dans certaines agences territoriales. Il s’est depuis rapproché de Jean-Christophe Angelini (à la tête du parti nationaliste Partitu di a Nazione Corsa) lors des élections territoriales de 2021, Tony Poli figurant sur cette même liste.

Balthazar Federici au village de Venzolasca — Gérard Baldocchi / Corse Matin

Son frère cadet, Jean-François, né en 1957, n’a pas eu la fibre politique. Il a arrêté ses études en 5ème, rejoignant les troupeaux de son père, puis fatalement, rejoindra l’école du crime avec plusieurs braquages à son actif. Il s’est surtout illustré dans les affaires de jeux du clan et lors d’une vendetta.

Jean-François Federici
Jean-François Federici — Corse Matin

Le troisième frère, Ange-Toussaint, né en 1960, est le plus connu. Lui aussi quitte très tôt les bancs de l’école, dès la primaire, pour conduire les troupeaux familiaux, avant de tenir le café familial, près de l’église du village. Au début des années 80, la vingtaine à peine entamée, il commence sa carrière criminelle au sein d’une petite bande : attaque à main armée dans des commerces de l’île, puis des banques sur le continent. Dans le même temps, il se rapprochera de certains membres du FLNC (Front de libération nationale corse), plus particulièrement du “secteur V” ou “secteur Volant” mené par Alain Orsoni, puis du Canal-Habituel/MPA, à l’instar d’Antoine Quilichini ou d’Antoine Nivaggioni¹.

Ange-Toussaint Federici lors de la reconstitution en 2008 de la tuerie du bar des Marronniers à Marseille — Florian Launette / La Provence

Le plus jeune des frères Federici, Frédéric, né en 1963, a, lui aussi, un passé chargé. Il aurait suivi ses frères dans leurs pérégrinations bancaires continentales. Par la suite, il s’éloignera du clan en rejoignant la bande constituée autour de Jean-Luc Germani et Antoine Quilichini. Il vit en concubinage avec la sœur de Tony Poli², un si petit monde.

Frédéric Federici — France 3 Via Stella

Une sœur vient compléter la fratrie, mais son nom n’a jamais cité. Ce qui conclu ce rapide tour d’horizon de la cellule familiale.

Le nom Federici apparait pour la première fois à la rubrique faits divers en 1984, lorsque Ange-Toussaint est condamné pour vol avec violences. Lors de l’attaque d’un supermarché de Bastia, il avait ouvert le feu sur le gérant et l’avait blessé d’une balle au ventre.

Il poursuit en 1987 avec le braquage d’une agence de la Société Générale à la Seyne-sur-Mer, où, avec deux complices, ils prennent en otage le directeur de la banque. Alors que la police s’interpose, dans leur fuite, un de ses confrères tire sur leur voiture et tue l’un des policiers. Arrêté en 1988 à Valence pour une autre affaire de vol à main armé, il sera finalement condamné, seul en l’absence des complices, à 9 ans de prison.

Suite à son transfèrement sur l’île, il est incarcéré à la prison Sainte-Claire de Bastia. En août 1990, il s’en échappe avec cinq codétenus — dont Jacques Buttafoghi, un de ses amis braqueurs. Après avoir neutralisé les gardiens, ils s’extirpent de l’enceinte à l’aide d’une corde d’alpinisme³. Détenu signalé comme “particulièrement dangereux”, Federici se fond dans le maquis et entame sa première cavale.

Neuf ans plus tard, il est jugé pour une série d’attaques de banques réalisée en 1994 dans plusieurs villes d’Occitanie, région d’où son épouse Nicole est originaire. Au cours de l’instruction, Ange-Toussaint Federici, lâche aux juges qui l’interrogent : “Si vous me présentez une photo de ma mère, je ne la reconnaîtrai pas”. Il conservera tout au long de sa carrière ce tempérament de taciturne.

Ses complices en cavale — Franck Cortopassi, Stéphane Luciani et Jean-Luc Germani — n’ont pas assisté aux débats. Au terme du délibéré, il est condamné à 20 ans de prison. La confusion de plusieurs peines lui permet d’obtenir une libération conditionnelle en 2003.

Après sa remise en liberté, un changement radical est opéré. Fini les braquages, place à la légalité !

En septembre 2003, Ange-Toussaint Federici préside à la création de la société de sécurité SISIS (Société Insulaire de Sécurité Incendie et Secourisme), qui sera gérée par un de ses cousins, Jean-André Albertini et un intime, Pierre-Louis Montet, tous deux pompiers professionnels.

Logo de la société SISIS

Le casier judiciaire d’ATF ne lui permet pas de gérer directement la société, mais cela ne l’empêche pas d’être embauché par l’AFSIS (organisme de formation incendie relié à la SISIS), afin de jouer les commerciaux. Il se rapproche de son ami Antoine Nivaggioni, pourtant à la tête d’une société concurrente, la SMS (Société Méditerranéenne de Sécurité) qui le met en contact avec Francis Pantalacci, alors président de la commission des appels d’offres de la CCI de Corse-du-Sud. Celui-ci lui permettra d’obtenir des contrats dans cette partie de l’île.

Faisant l’objet d’une surveillance continue, les policiers constatent que Federici appelle régulièrement celui qu’ils désignent comme son “homme de confiance”, Pierre-Louis Montet. Celui-ci lui faisait des rapports d’activités quasi journaliers durant les premières années de la structure. Frédéric Federici, le frère cadet, sera également de l’aventure, puisqu’il touchera un salaire de la SISIS pour un emploi fictif, à l’image d’Antoine Quilichini avec la SMS de son ami Nivaggioni.

En 2008, à la suite d’un conflit ouvert sur la gestion de la SMS — lequel se règlera au tribunal — la société est scindée en deux. Antoine Nivaggioni renomme sa société Arcosur et Yves Manunta en Société de Sécurité Méridionale (SSM). Suite à l’assassinat de dernier en 2012, ses proches revendront quelques années plus tard le fonds de commerce de la SSM au profit de la SISIS. Arcosur a continué son activité jusqu’en 2022, après une liquidation judiciaire, et ce malgré l’assassinat de son fondateur en 2010 par des affidés du Petit Bar.

La fille de Pierre-Louis Montet, Magali, prend en 2018 la tête d’une holding regroupant les différentes entités, aux côtés de sa mère Isabelle. Raymond, le fils, est également présent en tant que dirigeant de filiales, mais aussi d’une société de transport par hélicoptère basée à Corte. Christophe Perfettini, ancien responsable des ports à la CCI de Haute-Corse et actuel trésorier du MEDEF Corse, préside et dirige certaines des plus importantes entités du groupe.

La restructuration de la SISIS s’accompagne d’un rebranding. En 2020, la société se nomme désormais Hestia. Composé de plusieurs filiales spécialisées (transport de fonds, brigade cynophile, protection rapprochée, ainsi que les traditionnelles activités de surveillance incendie et gardiennage), elle compte plus de 500 salariés et réalise près de 10 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel.

L’année 2020 marque aussi une période de renouveau politique. Louis Pozzo di Borgo, pompier professionnel, adjoint au maire de Furiani (sous l’étiquette du parti nationaliste Femu a Corsica), a été nommé président de la Communauté d’Agglomération de Bastia. Durant plusieurs années, celui-ci était le directeur général de la SISIS et d’une holding, Corse Investissement Ingénierie, chapeautant l’organisme de formation AFSIS, dans laquelle il conserve des parts.

Pierre-Louis Montet quant a lui n’apparait plus dans les statuts. En 2022, il a été promu au grade de lieutenant-colonel en tant que chef du volontariat au sein du Service d’Incendie et de Secours de la Haute Corse.

L’autre front légal des Federici concerne l’activité aéroportuaire, avec la société Casinc’Air Fret, créée en novembre 2005 par l’ainé des frères, Balthazar Federici et son neveu, Augustin, né en 1982, fils d’ATF, qui à l’époque était également pompier.

Cette société basée à l’aéroport de Bastia-Poretta a pour objet “le transit et le fret aérien, maritime et terrestre, tant à l’importation qu’à l’exportation”. Un secteur peu concurrentiel, où les Federici ont pu se maintenir depuis plus de 10 ans, avec un chiffre d’affaires annuel approchant 2 millions d’euros. C’est aujourd’hui Pierre Federici, né en 1988, fils cadet d’Ange-Toussaint, qui dirige l’entreprise.

Capture d’écran site internet de l’aéroport de Bastia-Poretta — http://bastia.aeroport.fr/

En 2018, celui-ci avait été jugé sur des soupçons d’emploi fictif. Depuis 2010, il avait été rémunéré 5 000 euros par mois en tant que directeur commercial, sans pour autant exercer d’activité réelle. Le tribunal l’a condamné à “18 mois de prison avec sursis assortie d’une mise à l’épreuve, avec l’obligation d’exercer une activité professionnelle”. Nous en reparlerons.

En 2020, via une nouvelle société intitulée Corsica Express, les Federici acquièrent une société concurrente, AFS Air Fret Service, basée à Ajaccio. Un fonds de commerce et des infrastructures acquises au prix cassé de 200 000 euros qui leur permettent désormais de couvrir les deux aéroports majeurs de l’île.

À la marge de ces activités s’ajoute un investissement dans le BTP, via la société Fussimo créée en août 2005, qui compte parmi les associés Augustin Federici, Barthélémy Beyssier — un ami d’enfance d’ATF —, Jean-Charles Giabiconi et son frère Daniel Giabiconi, les deux ayant un pied dans le secteur avec l’entreprise GEA BTP. Bien que la plupart des associés vivent en Corse, la société est domiciliée à Vitrolles. Son but était de racheter des parcelles de terrain dans le Var afin de les lotir pour en dégager une plus-value⁴. Elle est depuis dirigée par Daniel Giabiconi, son frère Jean-Charles lui ayant transmis la gestion après son élection à la mairie de Biguglia en 2020 (sous la bannière du parti nationaliste Femu a Corsica).

Reste que ces activités n’ont pas été la seule préoccupation d’Ange-Toussaint Federici — et de son clan — durant les années 2000. On le voit souvent se rendre sur le continent, notamment à Aix-en-Provence. Ville thermale aisée, peuplée de bars, restaurants et boites branchées. Cette profusion attire particulièrement la criminalité corso-marseillaise, qui en a fait un de ses fiefs. Depuis l’assassinat en 2000 de la figure dominante du milieu local, Francis Vanveberghe, plus connu sous le nom de “Francis le Belge”, la ville est désormais l’objet de toutes les convoitises.

En mars 2004, les policiers observent ATF à Aix lors d’une réunion au sommet où il se joint à Richard Casanova — alors en cavale, l’un des pontes de la Brise de Mer, beau-frère de Jean-Luc Germani, ainsi que deux Marseillais, placeurs de machines à sous, Patrick Bennati et Jean-Claude Tasso. Selon l’expression de l’ancien juge Gilbert Thiel, cette réunion visait à établir un “gentleman agreement” entre le clan Federici et les affidés de Casanova, pour se répartir équitablement l’implantation de machines à sous sur la région d’Aix et du territoire délimité par l’étang de Berre (délimité par les communes de Miramas, Istres, Martigues, Marignane et Vitrolles).

Dès les années 90, les “baraques”, “bingos” ou “video-poker” sont devenus des placements à haut rendement pour le milieu criminel. Les jeux d’argents étant strictement interdits en dehors de l’enceinte des casinos, des sociétés se sont spécialisées dans la reconversion de jeux de bar en véritables bandits manchots. Charge aux placeurs de trouver les bars et boites qui accepteront d’accueillir les machines trafiquées. Une activité qui n’est pas sans risques, à l’image des tripots clandestins, mais qui comporte un caractère bien plus violent. On dénombrera de nombreux règlements de comptes entre les différents acteurs de ce milieu, qui pour obtenir ou conserver les meilleures places — les gains par machine pouvant s’élever à plusieurs milliers d’euros par mois — est prête à user de méthodes brutales.

Flippers bingos — Sud Ouest

Farid Berrahma, né en 1966 à Marseille, est le fils d’un mineur algérien installé à Gardanne. Au début des années 90, il rencontre en prison Antoine Cossu (aussi connu comme Tony l’Anguille pour sa propension à l’évasion), beau-frère de Francis le Belge, qui va l’aider à monter rapidement dans le milieu criminel. Animant d’abord des réseaux de vente autour de Salon-de-Provence, il va devenir l’un des principaux importateurs de drogue de Marseille, avant de s’installer sur la Costa del Sol en Espagne pour investir et superviser les chargements de haschich marocain et de la cocaïne américaine à destination des cités. Il sera un temps mis en examen dans un vaste trafic international surnommé “Topaze” où l’on retrouve des anciens de la French Connection comme Jean-Claude Kella.

Il hérite d’un surnom qui serait lié à ses accès de violence : le rôtisseur… Il aurait été un précurseur d’une mise en scène macabre de la mort de ses rivaux par la technique dite “du barbecue” : plusieurs balles tirées sur une voiture, puis sa mise à feu. Technique qui fera des émules jusqu’en Corse, lorsqu’on pense à la manière dont les cousins Marcelli ont été sauvagement assassinés en 2001 dans un règlement de compte attribué à la Brise de Mer

Cette année-là, Berrahma est interpellé en Espagne et sera ensuite extradé vers la France. Remis en liberté conditionnelle en 2005, il constate l’avancée des Corses autour de l’étang de Berre. Dans un précédent découpage, il s’agissait de “sa zone d’exclusivité” pour les machines à sous. Atteint d’un cancer de l’estomac qui le ronge, Berrahma sait qu’il n’a plus de temps à perdre et compte récupérer son dû, quitte à déclarer la guerre.

Le 23 mars 2006, Roch Colombani, 36 ans, entrepreneur marseillais ayant de nombreux intérêts commerciaux autour de l’étang (bars, immobilier), a été pris sous un déluge de balles près de l’aéroport de Marignane au volant de son 4x4 Mercedes. Pris en tenaille par deux voitures qui le force à s’arrêter, il est criblé de plus de 60 impacts de balles de fusil kalashnikov. Son corps est méconnaissable.

Impacts de balles sur le 4x4 conduit par Roch Colombani en 2006 près de Marignane — France 3 Provence

Cet acte d’une extrême violence interroge vis-à-vis du profil de la victime. Roch Colombani, dans un premier temps proche de Berrahma, aurait refusé de le soutenir à son retour aux affaires. Signe de son allégeance aux nouveaux venus de Corse. Colombani, bien que né à Marseille, possédait de nombreux liens avec l’île, sa famille étant originaire de Castifao.

Il était ainsi proche d’Augustin Federici et son ami Florian Costa, par ses liens familiaux avec l’oncle de ce dernier, Maurice Costa (autre pilier de la Brise de Mer, libéré avec un faux fax en 2001 de la prison de Borgo avec Francis Mariani), tous deux originaires de Moltifao, de Franck Cortopassi, braqueur proche d’Ange-Toussaint Federici (vu plus haut), ainsi que des placeurs Bennati et Tasso, factotums de Casanova⁴.

21h, le 4 avril 2006, jour anniversaire du défunt Colombani, trois puissantes voitures se garent devant un petit immeuble du quartier Saint-Just au nord de Marseille. Un comité constitué de 8 à 10 personnes cagoulées se dirige au fond du bar des Marronniers et tire sur 3 personnes qui regardaient un match de football. Les clients, tous des habitués, sont sous le choc.

Farid Berrahma, 39 ans, et ses deux lieutenants, Radouane Baha, 27 ans, et Heddie Djendeli, 31 ans, sont pris sous un feu nourri sans pouvoir riposter⁵. Les deux premiers meurent sur le coup, le troisième s’éteint après son admission à l’hôpital. Méfiant, toujours sur le qui-vive et armé, Berrahma prenait d’extrêmes précautions pour se déplacer. Ce qui démontrerait la présence d’une taupe au sein de son équipe qui aurait informé les tueurs.

Gauche : Photographie d’identité judiciaire de Farid Berrahma — Pièces à Conviction-France 3 / Droite : Enquêteurs de la PJ au bar des Marronniers la nuit du 4 avril 2006 —Anne-Christine Poujoulat / AFP

Les jours suivants, le 6 et 7 avril, ce sont deux autres lieutenants de Berrahma qui seront brutalement abattus, Michel Filippi, 38 ans, et Abderamid Rerbal, 30 ans. Les enquêteurs n’ont pu établir de lien entre ces assassinats et la tuerie des Marronniers. Ironie du sort ou preuve de proximité, les tombes de Colombani et Berrahma sont situées à quelques mètres l’une de l’autre au cimetière de Vitrolles.

La mort de Farid Berrahma signe un changement d’époque, celle des équipes de cités pour qui il est désormais possible de “monter” et organiser le trafic à grande échelle, sans nécessiter l’appui du milieu traditionnel, à l’image de la famille Tir qui aurait repris son héritage. Ce phénomène criminel sera d’abord désigné par les policiers sous le terme de “néo-banditisme”, puis de “narco-banditisme” du fait de la montée en puissance et en violence de ce phénomène criminel⁶.

Lors de la tuerie des Marronniers, l’un des assaillants a été touché par une balle qui aurait ricoché. À l’extérieur du bar, on relève une trainée de sang. Les trois voitures repartent en trombe. Une opération de sauvetage commence alors autour de ce blessé inconnu, véritable aubaine du point de vue des enquêteurs.

Dans la nuit du 4 avril, un vaste réseau d’entraide se met en branle entre Marseille, Paris et la Corse pour venir en aide à l’inconnu. Le but : trouver un médecin au plus tôt afin de soigner cette blessure le plus discrètement possible. Après avoir été repoussés de l’Hôpital Nord, un neurochirurgien, maire d’une commune en Balagne, accepte, après de nombreux appels insistants, de le faire admettre à la clinique de Clairval.

Touché au genou gauche, le blessé se présente comme “Pascal Simeoni”. Il dit avoir fait une chute à moto, doublée d’une morsure de chien, la guigne… Soigné, il ne prend même pas la peine d’effectuer sa convalescence. Le lendemain, l’impatient, vêtu d’une simple tenue opératoire, s’est volatilisé, emportant avec lui un drain au genou, une perfusion au bras et une sonde urinaire branchée. Commentaire du chirurgien qui l’a opéré : “Ça a dû lui faire un mal de chien”…

La chambre qu’il occupait est déserte à l’exception de quelques vêtements éparpillés sur lesquels on retrouve des résidus de tir. La police scientifique fait ses relevés habituels. Quelques semaines plus tard, les résultats parviennent : l’ADN retrouvé au bar des Marronniers⁷ et à la clinique correspondent au même individu. Déjà fiché pour sa participation au grand banditisme, il s’agit d’Ange-Toussaint Federici.

Une fuite de plusieurs mois commence alors. À suivre dans la seconde partie.

Notes:

1 — Porosité entre le milieu criminel et militant décrite par Michel Ucciani dans son livre Natio, du FLNC au grand banditisme, Manufacture de livres, 2020

2 — Jacques Follorou, Mafia Corse, une île sous influence, Robert Laffont, 2022

3— Frédéric Ploquin, Ils se sont fait la belle : Parrains et Caïds II, Fayard, 2007

4 — Jacques Follorou, Parrains corses, la guerre continue, Plon, 2019

5 — La “tuerie des Marronniers”, comme elle sera surnommée, a des précédents comme la tuerie du Tanagra (31 mars 1973, 4 morts) et le la tuerie du bar du Téléphone (3 octobre 1978, 10 morts). Des armes de tous calibres seront utilisées pour tirer sur les 3 hommes, comme si chaque assaillant avait dû réaliser “sa part” du crime.

6 — Xavier Monnier, Les nouveaux parrains de Marseille, Fayard, 2016

7 — ADN relevé sur les traces de sang présente à l’extérieur du bar, mais aussi sur le manchon en bois d’un fusil à pompe retrouvé dispersé à l’intérieur du bar. Pour une raison indéterminée, l’arme avait explosé durant l’assaut.

--

--

A mafia Fora

Criminalité organisée et mafia en Corse / Organized crime and mafia in Corsica https://twitter.com/AmafiaFora