Michel Tomi, contribuable français malgré lui

A mafia Fora
6 min readDec 29, 2021

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Au terme d’une longue instruction, le “dernier des parrains corses” devra finalement s’acquitter de l’impôt sur les revenus, ainsi qu’une contribution exceptionnelle sur les hauts revenus.

Michel Tomi, ici en janvier 2002, à Libreville, au Gabon
Michel Tomi, janvier 2002, à Libreville, au Gabon © DESIREY MINKOH / AFP

C’est par un arrêt de la Cour administrative d'appel (CAA) de Paris rendu public le 25 mai 2021 que le corsafricain a été mis à contribution. Les magistrats ont déterminé qu’il était imposable en tant que citoyen et résident fiscal français. Sa nationalité gabonaise, tout comme ses justificatifs de résidence à Libreville, la capitale du pays, étant jugés insuffisants.

Seul Gotham City, media suisse spécialisé dans la criminalité économique, avait relevé ce jugement unique en son genre. Le ministre chargé des Comptes publics (Gérald Darmanin, à l’époque) avait saisi la CAA, après un premier jugement du tribunal administratif de Paris en 2019, qui était selon lui “entaché d’irrégularité”.

Une enquête qui débute sous le quinquennat Hollande

2012, assassinat de l’avocat Antoine Sollacaro à Ajaccio, stupeur au sommet de l’Etat. Le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, veut s’attaquer à la pieuvre, par tous les bouts.

Le ministre de l’Intérieur veut cibler les “donneurs d’ordre supervisant ces systèmes criminels, soit depuis le continent, soit depuis l’étranger, en Amérique latine ou encore en Afrique” comme il l’indique dans un entretien avec L’Express en 2013.

Pour les initiés, Michel Tomi, qui a bâti une grande partie de sa fortune dans les jeux d’argent sur les terres africaines, est dans le viseur du ministre.

Tomi, originaire de la vallée du Taravo, surnommée “la vallée des croupiers”, avait commencé sa carrière dans les cercles de jeux parisiens (dirigés par la famille Francisci comme le cercle Hausmann ou l’Aviation Club de France). Il avait ensuite mené ses propres affaires en reprenant le casino de Bandol sur la Côte d’Azur ou le casino d’Annemasse en Savoie.

Deux échecs. Il a été poursuivi et condamné, respectivement pour minoration de recette et pour corruption active, dans le cadre du financement en 1999 du parti de Charles Pasqua, le RPF. Sa fille, Marthe Tomi, également présente sur la liste de Pasqua aux élections européennes, avait effectué un don de 7,5 millions de francs (un peu plus d’1 millions d’euros) en contrepartie de l‘autorisation d’exploitation du casino d’Annemasse accordée par ce même Pasqua.

C’est par la rencontre d’un autre ami du “parrain des Hauts-de-Seine”, Robert Feliciaggi, que Tomi s’exile en Afrique au début des années 90. Feliciaggi, fils d’administrateurs coloniaux, possède une bonne connaissance du continent africain. Il a déjà pu profiter de la manne pétrolière, notamment en participant à la chaine logistique de la société Elf : construction, transport, hébergements, restauration.

Avec Tomi il se diversifiera dans les “loisirs” avec les jeux de hasard. Ils miseront d’abord sur le PMU : proposer de parier sur les courses hippiques se déroulant en France. Le succès est au rendez-vous. Il sera décliné au Mali, au Cameroun et au Gabon.

Dans ce dernier pays, Tomi va être au plus proche du pouvoir. D’abord avec Omar Bongo, président du Gabon de 1967 à 2009, puis son fils, Ali Bongo, qui a pris sa suite. Des liaisons très privilégiées qu’il mettra à son profit.

Soprano, lobbyiste en Afrique

L’enquête visant Michel Tomi prendra pour nom de code “Soprano” (du nom de la série suivant un parrain de la mafia italienne de New York). Sa vie et ses affaires seront scrutées, analysées dans leur moindre détail. Les boites mail du patron du groupe Kabi (du nom de sa société de BTP) et d’un de ses associés, ainsi que plusieurs de ses lignes téléphoniques sont placées sous surveillance.

Il s’agissait de faire d’une pierre deux coups, puisqu’il était également soupçonné d’avoir aidé Jean-Luc Germani en lui fournissant un point de chute en Afrique durant sa cavale après un mandat d’arrêt émis en 2012. Germani, figure importante du grand banditisme insulaire, est désigné comme l’héritier de son beau-frère, Richard Casanova, membre de la Brise de Mer, assassiné en 2008. Tomi avait des rapports quasi-filiaux avec Casanova, qui était également son associé en affaires.

Depuis sa mort, le “parrain” entretient sa famille, dont sa veuve, Sandra Germani, qui aurait inspiré les créateurs de la série Mafiosa. Il lui met à disposition un appartement dans un arrondissement chic de Paris, finance ses déplacements et lui verse une rente en liquide. Jean-Luc Germani sera rattrapé fin 2014, sur le sol français.

Il a purgé une peine de 6 années de prison pour son coup de force au cercle Wagram en 2011 et est désormais libre. Le parquet de Paris a requis son renvoi en correctionnelle pour usage de faux papiers durant sa cavale. Celui de Paul Canarelli pour recel de malfaiteurs sur le domaine de Murtoli et de Pierrot Flori, un homme décrit comme « l’un des maîtres à penser du milieu corse ».

Photo — Florian Lorenz

Les enquêteurs finissent par accumuler un nombre d’éléments suffisant pour le mettre en examen pour corruption d’agents publics étrangers, abus de confiance, blanchiment et trafic d’influence. Son rôle se rapprochant plus d’un grand argentier, que d’un parrain à l’ancienne.

La plupart de ces charges ont finalement été abandonnées au terme d’une “comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité” en 2018 (cette procédure particulière a récemment permis au groupe LVMH de Bernard Arnault d’éviter un procès contre une amende de 10 millions d’euros pour l’espionnage du journal Fakir). Il est condamné à un an de prison avec sursis et 375 000 euros d’amende.

Malgré tout, restait une affaire dans l’affaire concernant le contrat de construction de 4 vedettes de la société française Raidco Marine au profit du ministère de la Défense du Gabon, signé en 2010, pour un montant total de 16 millions d’euros. Tomi avait reconnu s’être fait rémunérer en tant qu’apporteur d’affaire à hauteur de 10% du prix de vente, soit 1,6 millions d’euros.

Jusqu’en 2009, le poste de ministre de la Défense du Gabon est occupé par Ali Bongo, dont le fils de Tomi, Jean-Baptiste dit “Bati”, est très proche, ils ont fait leurs classes ensemble. Il a également eu un rôle très important dans son arrivée au poste présidentiel, fournissant divers services par le biais de sa société aérienne Afrijet.

Le rôle de Michel Tomi revenait donc à négocier le “ticket d’entrée” pour que la société Raidco place ses navires militaires. Le recours à des intermédiaires ne sort pas de l’ordinaire pour ses dirigeant qui font affaire avec les gardes-côtes de nombreux pays africains. Mais dans ce cas précis, Tomi a permis de signer une vente de gré à gré, sans qu’aucun appel d’offres n’ait été effectué.

L’administration fiscale comptait récupérer une partie de cette manne, que Michel Tomi n’avait pas déclaré, s’estimant alors résident gabonais. A l’appui de ses arguments, les services de Bercy citent l’étude des antennes relais activées par sa ligne téléphonique personnelle entre septembre 2012 et septembre 2013, estimant qu’il avait “résidé 158 jours sur le sol français, 70 jours au Maroc et 137 jours dans des pays non déterminés”.

De plus, l’administration précise que le domicile fiscal français de Tomi se situait dans un appartement du boulevard Hausmann à Paris, dans laquelle son épouse et ses filles résidaient en permanence. Celui-ci pour sa défense faisait valoir qu’il avait un domicile permanent au Gabon en s’appuyant sur une déclaration de revenus dont l’adresse correspond à celle du PMU Gabonais (PMUG). L’administration fiscale estimant qu’il ne pouvait pas être considéré comme un foyer d’habitation permanent, les juges de la cour d’appel ont suivi leur avis.

Une petite victoire, certes, mais au terme d’un long processus judiciaire qui aura certainement fait couler beaucoup plus d’encre que résolu le problème de la criminalité insulaire. En décembre 2017, Antoine Quilichini et Jean-Luc Codaccioni ont été froidement abattus à l’arme de guerre à la sortie de l’aéroport de Bastia-Poretta. Ces deux hommes étaient des proches du “dernier des parrains”.

Aujourd’hui se pose la question de sa succession. Atteint d’une sclérose en plaques, il serait soigné loin du continent africain. Son fils, Jean-Baptiste, aurait repris la plupart de ses affaires et joue lui-même le rôle d’intermédiaire, comme avec le géant du négoce pétrolier Gunvor ou plus récemment l’un de ses concurrents Augusta. Sa fille, Marthe, a été élue en 2020 maire du village de Tasso, d’où est originaire la famille Tomi.

Une nouvelle génération qui perpétuera le mythe de la Corsafrique ? Ou les autorités y mettront-elle un terme en se dotant d'un arsenal pour lutter contre ces circuits opaques ?

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